Nous
en étions restés à la victoire des Aldarians sur
la Dame de Glace, me semble t-il.
''Le
lendemain fut donnée une grande cérémonie où
des prêtresses parées d’or renvoyaient les âmes
à Daermon par une magnifique danse. Presque toute la ville
était réunie devant le parvis du temple. William avait
offert son hospitalité à Woofang, comprenant que
celui-ci ne voulût pas retourner dans la maison Annavatar en
l'absence de son maître ; tous deux assistaient à
présent tristement au rituel. Ils ne s’étaient jamais
vraiment parlés autrefois, se croisant simplement dans les
couloirs de la maison lorsque le seigneur Rodarhim était en
visite mais en quelques jours Woofang réussit à
découvrir que cet homme était quelqu’un d’agréable,
aussi peu contrariant que Kendrakar était pacifique et bien
que militaire haut gradé, aussi gentil que Darion. Alors
qu'ils regardaient les danses, William s'adressa au jeune garçon,
souriant en reprenant la phrase du défunt daermoor :
« Je
suis sûr que tout ce qu’il a fait cette semaine résonnera
dans l’éternité.
-
L’éternité, répliqua Woofang, ça sert à
rien.
- Tu
voudrais qu’on l’oublie ?
-
Non !
- Se
souvenir, ce n’est pas utile, mais c’est important… pour
l’éternité… »
Woofang
avait l’air mal à l’aise. William lui sourit. Le jeune
adolescent soupira et d'humeur à se confier, il avoua à
mi-voix :
« L’éternité…ça
me fait peur… alors…je me dis, qu’après la vie, y a plus
rien…
- Si
j’étais homme de foi, je te dirais que la vie d’après
est meilleure, que ton dieu t’accueille à bras ouverts dans
une magnifique contrée verdoyante... Mais honnêtement,
je n’en sais rien.
-
Tout ça, c’est la faute à Altaïr !
-
Cesse de parler ainsi; sans lui, Kendrakar serait mort et cette ville
serait tombée. Viens, rentrons. »
Le
militaire posa sa main sur l'épaule de l'adolescent qui
protesta :
«
Sans lui, je serais toujours tranquille chez moi et j'aurais pas eu
d'ennuis avec Shadow… et s’il avait été plus
compétent, Darion ne serait pas mort !
-
Accuser les gens ne résout pas les problèmes, Woofang.
-
Oui mais ça fait du bien… »
William
secoua la tête, se détourna de la cérémonie
et s’éloigna de la foule, invitant le garçon à
le suivre puis lui suggéra:
«Tu
devrais aller voir Kendrakar… il paraît que les gens
perçoivent leur environnement même lorsqu'ils se
trouvent dans un état d'inconscience prolongée.
-
J’ose pas… murmura Woofang.
-
Pourquoi ?
- Si
je l’avais écouté, se confia le garçon, il
n’en serait pas là… et maintenant, il est dans cet état…
- Et
bien vas lui dire que tu as appris la leçon et que tu ne
recommenceras pas, que tu regrettes.
-
Nan… C’est ça le problème… »
Woofang
inspira un bon coup, hésita, puis se lança :
« Je
regrette pas…
- Et
tu as raison. Il ne faut jamais regretter nos erreurs, c’est comme
ça qu’on avance. »
William
marchait l’air de rien dans les rues plutôt animées
par la reconstruction, se dirigeant vers la maison Annavatar alors
que le garçon qui le suivait se sentait de plus en plus mal à
l'aise.
« En
fait je me dis que… Peut-être que… peut-être qu’il
aurait été mort s’il avait continué la guerre…
-
Peut-être qu’il va mourir quand même… mais avec sa
chimère ça m'étonnerait. Tu sais avec des si on
met Karad-him en bouteille…
-
Chez nous, ils ont fait ça avec un royaume, de le mettre en
bouteille… ils ont oublié de refermer le bouchon, quand ils
l’ont jetée à la mer… »
La
légende fit rire William qui poussa ensuite la porte de la
maison de Kendrakar, transporté chez lui le jour même.
Il entra comme si de rien n'était, se sentant tout à
fait à sa place dans la famille Annavatar.
« Je
vais nous obtenir un « tour de garde » dit-il à
Woofang avec un clin d’œil. »
Il y
parvint sans trop de difficultés. L’Aldarian était
allongé dans son lit et portait un masque étrange lui
prenant le nez et la bouche ainsi qu’un curieux bandage sur
l’avant-bras gauche. Woofang ne put s’empêcher de baisser
les yeux en le voyant. Il s’avança, regardant ailleurs.
William demanda :
« Tu
préfères que je vous laisse cinq minutes ?
-
Nan. Enfin oui…je sais pas… »
William,
qui sentait bien que le garçon serait mieux seul avec son
maître, s’éclipsa. Woofang se tourna vers Kendrakar
toujours sans oser le regarder et marmonna des excuses. L'Aldarian
gardait cependant les yeux fermés et restait sans bouger.
« Je…je
suis désolé… commença le garçon. J’en
ai fait qu’à ma tête… et à cause de moi, vous
êtes dans cet état…j’ai été égoïste…
et bête… J’aurais dû venir plus tôt, mais je…
je me sentais trop coupable, et j’osais pas… alors, j’ai été
lâche… la ville est libre, on a gagné…des renforts
sont arrivés de l’ouest…ils sont en train de tout
reconstruire… »
L’inconscient
fronça les sourcils. Le garçon sursauta. Arrivèrent
un certain nombre de personnes et l’agitation dans la pièce,
tous se penchant sur l’état de santé de Kendrakar. Le
garçon soupira, il savait que cela signifiait qu'il devait
s'en aller et en effet, William ne tarda pas à le faire
sortir.
« Je…j’ai
envie de rester seul, s’excusa Woofang. »
Il
était à présent hébergé chez le
militaire, dans une luxueuse demeure du centre ville. Il avait fait
connaissance avec toute la famille et Aria, femme de William, aînée
des demoiselles Annavatar, avait vite fait de le prendre à la
bonne. Il ne s'était cependant jamais vraiment mêlé
à eux, préférant les livres d'images à la
compagnie humaine. Un soir, alors qu'il était confortablement
en train de squatter un fauteuil, son hôte vint le voir un
sourire aux lèvres et lui annonça :
« Ton… « maître »
est réveillé… »
Le
garçon se leva d’un bond, n'osant pas en croire ses
oreilles;
« Je
vais aller le voir ! s’exclama t-il tout excité.
-
Pas si vite, coupa le seigneur Rodarhim. Il ne reçoit
personne.
-
Mais j’ai déjà tellement attendu, soupira Woofang.
-
Maintenant qu'il n’est plus sous assistance magique, il serait bête
d’aggraver les choses avec un peu d’impatience non ? Je te
dirai quand son état lui permettra de recevoir du monde, et je
m’arrangerai pour te faire passer avant la cour. »
L'adolescent,
partagé entre les remords et l'envie de revoir son maître,
eut une moue de protestation.
«
Mais... commença t-il à contester.
-
Pour l’instant, il vient d’apprendre pour Darion…
-
Darion… »
Woofang
eut soudain le visage bien sombre; le daermoor lui manquait beaucoup.
Il avait conservé son luth en y prêtant le plus grand
soin, l'avait emmené avec lui chez le militaire et des fois se
surprenait à essayer d'y jouer quelques notes - sans grand
succès.
« Peut-être
que maître Kendrakar n'a même pas envie de me voir...
hésita le garçon.
-
Bien sûr qu’il veut te voir, le rassura William. S’il ne
t’aimait pas un tout petit peu, tu penses qu’il aurait pris ce
risque pour toi ?
-
Non… admit le garçon en secouant la tête.
-
Alors cesse d’être si démoralisé. Tout
s’arrange, « haut les bannières et haut les
cœurs » disait mon père de retour de campagne.
-
C’est vrai, se reprit Woofang.
- En
plus je ne crois pas qu’il aimerait que tout le monde le voie ainsi
diminué. »
William
revêtit sa tenue noire et rouge, il avait à faire. Il se
tourna vers Woofang et lui dit d’un ton enthousiaste :
« Plus
qu’une petite semaine ! Je te laisse, je suis attendu au
palais, ne fais pas de bêtises. »
L’homme
s’en alla. Le garçon prit son indication à la lettre
et se mit à compter les heures, attendant son retour et
l'heure du dîner. Il alla ensuite se coucher, mettant un
certain temps avant d'arriver à s'endormir et le lendemain lui
parut encore plus insupportable; il n'arrivait plus à se
concentrer sur les livres qu'il lisait, obnubilé par la pensée
de son maître, et avait trop peur de casser une corde sur le
luth du daermoor pour oser y jouer. Les domestiques lui proposèrent
de les aider mais il refusa cette offre; il préférait
rester sur le fauteuil du salon à regarder décliner le
Soleil, perdu dans ses pensées.
Une
semaine plus tard, Woofang trépignait d’impatience; il
s'était levé avant tout le monde puis habillé et
coiffé.
« Du
calme, j’arrive, j’arrive, fit William en achevant de nouer sa
cravate prenant garde à ce qu'elle fît des plis
réguliers.
-
Dépêche-toi!
-
Voilà, voilà... »
Le
militaire attrapa une cape et sortit, suivi de Woofang qui devait se
retenir pour ne pas se mettre à courir devant; sa honte
semblait s'être dissipée de même que sa crainte
d'être à l'origine de tout. Gagner la maison des
Annavatar ne posa pas de problème et ils trouvèrent
Kendrakar assis dans un grand fauteuil, encore un peu pâle mais
souriant. Il était en train de dicter une lettre à
Daran lequel écrivait avec le plus grand sérieux.
Woofang accourut, lui sautant presque dessus;
« Maître!
Vous m'avez tellement manqué!
-
Mon disciple indiscipliné préféré, rit
Kendrakar lui aussi ravi de revoir le jeune homme. »
Il
serra très fort le garçon contre lui en une franche
accolade.
« Je
suis content de voir que tu vas bien, et toi aussi, Will.
-
J’ai eu tellement peur pour vous Maître ! s’exclama
Woofang.
- Si
tu avais eu un peu plus peur pour toi, ça m’aurait évité
bien des ennuis.
- Je
suis désolé, tellement désolé…
- Et
Nathalie ?
-
Nathalie ? »
Woofang
baissa les yeux, l’air un peu inquiet et le regard triste - du
moins plus qu’à l’accoutumée. Qu'était
devenue la jeune fille? Où était-elle allée? Il
espérait qu'elle n'avait pas été touchée
par un quelconque projectile ou enlevée par les profiteurs de
guerre. Il s'en voulait un peu; pensant sans arrêt à
Kendrakar il l'avait complètement oubliée. Il ne lui
restait plus qu'à souhaiter qu'elle lui pardonnerait un jour.
« Je
l’ai pas revue… je sais pas où elle est…avoua t-il.
-
Hum, elle doit s’inquiéter pour toi, répondit son
maître d'un ton qui se voulait rassurant.
-
Petit cachottier, le taquina William en lui embrouillant les cheveux.
-
J’espère qu’elle va bien… rougit Woofang en se
recoiffant.
-
J’en suis sûr, je n’ai pas vu son nom sur les listes de
nobles disparus. En réalité nos pertes civiles ont été
minimes et on peut s’en féliciter, l'informa Kendrakar. »
Le
garçon baissa la tête et avoua, légèrement
gêné :
« C’est
pas une noble…
- Ne
m’avais-tu pas dit le contraire ?
-
Jamais! Elle... elle vient des bas-fonds de la ville... elle n'a plus
de famille, elle vit de ce qu'elle trouve.
-
Brave fille… Tu as repris ton entraînement en retard ?
-
Non… »
Woofang
gardait les yeux baissés, un peu penaud. Kendrakar fronça
les sourcils.
« Et
pourquoi donc ?
-
Sans vous, c’est pas la même chose. »
Le
jeune adolescent s’était, inconsciemment peut-être,
mis à vouvoyer son maître et à le traiter avec le
plus grand des respects. Sans doute avait-il enfin compris combien il
tenait à lui.
« Woofang,
soupira l'Aldarian. Il va me falloir plusieurs mois pour remarcher
correctement, et peut-être un an avant de pouvoir reprendre mon
bâton, alors il va falloir t’y mettre car à part des
conseils je ne pourrai rien faire d’autre. Et crois-moi, rester
ainsi vissé à un siège me démoralise.
- Je
suis désolé… Je m’occuperai de vous, si vous le
désirez.
-
Hors de question! J’ai assez de gens à mon service pour ça;
si tu veux vraiment te faire pardonner, reprends ton entraînement,
je compte bien te présenter au prochain concours des corps
d’élite.
-
Mais…je ne suis pas à la hauteur…
-
Raison de plus pour travailler doublement. »
Woofang
hocha la tête, bien que par la suite il ne fût plus
question de concours. William s’éclipsa discrètement,
laissant les Annavatar en famille. Kendrakar reprit ensuite, la mine
assombrie;
« Tu
es au courant pour Darion, je suppose.
-
Oui…Je suis désolé…
- Ce
n’est pas à toi de l’être. J’aimerais juste te
poser une question.
-
Oui ?
-
Sais-tu ce qu’il s’est passé à la fin de la
bataille ?
-
Des lumières… une rouge et une bleue.
- Je
sais ça. Mais sais-tu ce qui a fait exploser la bleue ?
- La
rouge. »
Kendrakar
secoua la tête.
« La
rouge, c’était Altaïr et il était acculé
quand la bleue s’est avancée, il ne pouvait plus bouger.
Quelque chose est intervenu... ou quelqu'un...»
L’Aldarian
se cala dans son dossier. Woofang, curieux, demanda :
« Vous
pensez à quoi ?
- Je
crois bien que je viens de réaliser que l’un de mes amis
vient de tous nous sauver en abattant avec une facilité
déconcertante la pire créature de cette planète.
- Ha
oui ?
-
Effrayant quand je pense que je ne l’ai jamais vu s’entraîner
à quoi que ce soit ou perdre son calme…
-
Qui ?
-
Shael Nestelan, souverain de la forêt qui jalonne l'empire et
du peuple qui l'habite.»
Woofang
fronça les sourcils.
« C’était
peut-être lui que j’ai croisé alors…
-
C’est étrange, la légende dit qu’il ne peut quitter
sa forêt au risque de condamner son peuple. Depuis trois mille
ans il n’en n’était pas sorti. Du moins, c’est ce qu’on
dit… »
Kendrakar
eut un sourire en coin et une lueur dans les yeux qui ne présageaient
rien de bon.
« Woofang,
commença t-il.
-
Oui ?
-
Approche. »
Woofang
obéit, méfiant, tentant encore vainement de s'imaginer
ce que pouvait procurer comme effet de vivre trois millénaires
durant. Un peu inquiet, il ne connaissait que trop bien cet air
qu’affichait son maître et se demandait ce qui l’attendait.
« Tu
aimerais te faire pardonner n’est-ce pas ? interrogea
l'Aldarian.
-
Oui, bien sûr !
- Et
en ce moment tu tournes plutôt en rond pas vrai ?
-
Oui , acquiesça le garçon se demandant où son
maître voulait en venir.
-
Bien, dans ce cas je te charge de savoir ce qu’il s’est passé;
suis les traces de Shael pour l’interroger, tu seras mon
porte-parole dans cette enquête. D’accord ? »
Le
garçon fronça les sourcils, cherchant l'entourloupe.
N'en voyant pas, il finit par accepter :
« D’accord.
- Il
va falloir commencer par interroger Altaïr.
-
Mais... »
De
toute évidence l'adolescent n'avait aucune envie d'y aller,
cela se lisait sur son visage et se devinait au ton de sa voix.
«
Je compte sur toi.
- Il
dira rien, répliqua le garçon, l’air pas du tout
enchanté.
-
Fais donc usage d’un peu de diplomatie ! Ne t’ai-je donc
rien appris depuis ton arrivée ?
-
Bien sûr que si! Mais je l’aime pas, grogna le gamin.
- Je
sais que tu ne l’aimes pas et je le ferais bien moi-même si
je le pouvais… mais prends sur toi.
-
Bien… se résigna Woofang. J’y vais…
- Tu
ne peux pas savoir à quel point c’est jubilatoire d’arriver
à avoir les renseignements qu’on veut de quelqu’un à
ses dépens, surtout lorsqu’il est sur la défensive… »
Le
garçon soupira. Il demanda à son maître en quel
endroit il pourrait trouver l’empereur; Kendrakar s’étira
pour attraper un parchemin sur la table et le lui tendit. Woofang lui
jeta un regard interrogateur. Il s'expliqua:
« Avec
ça tu pourras aller à ta guise dans le palais et même
avoir droit à un peu de son temps. De mon côté je
vais essayer de savoir ce qu’il est advenu de Nathalie. Ca ne
devrait pas poser trop de problèmes, mais ça risque de
durer un peu...
-
Merci. Mais elle n’est sur aucune liste… Elle venait des rues…
- Ne
t’inquiètes pas, je saurai ce qu’il lui est arrivé,
d’une manière ou d’une autre. Je ne suis pas politicien
pour rien!
-
Merci beaucoup! J’y vais…
-
Daran va t’accompagner au palais. »
Le
garçon eut une moue boudeuse. Aller voir Altaïr était
une chose, supporter Daran en était une autre.
Kendrakar,
d’un signe de main, envoya son fils préparer ce dont ils
auraient tous les deux besoin. Ce dernier reposa le parchemin sur
lequel figurait la lettre que lui dictait son père et sortit,
suivi par le regard assassin de Woofang. Une fois Daran dehors,
l’adolescent soupira, soupir malheureusement repéré
par l'Aldarian:
« J’y tiens, précisa
Kendrakar.
- Bien, se résigna le
garçon. »
Il sortit en traînant les
pieds. Dans la cour, Daran attendait, déjà à
cheval. Il en tenait un deuxième, destiné à
Woofang. Ils partirent une fois que le garçon se fût
décidé à monter sur la bête, faisant fi de
sa mauvaise foi. Le fils Annavatar resta muet comme une tombe tout le
trajet et ne prêta aucune attention à son compagnon de
route. Compagnon de route qui d’ailleurs faisait de même.
Daran avait l’air plus ou moins tendu en fonction des endroits
devant lesquels ils passaient et parfois, pressait l’allure.
Soudain, une femme sortant tout
droit d’un recoin isolé se jeta sur les membres antérieurs
des chevaux, hurlant à la fin du monde;
« IL EST TOUJOURS LA !
NOUS VAINCRONS ! »
Woofang poussa un cri d'effroi,
manquant de tomber, pas très doué en équitation.
Son cheval fit un écart et se cabra. Le jeune garçon
était paniqué.
« Woofang ! lui
cria Daran. Accroche toi à son cou ! »
Le gamin obéit; c'était
tout juste.
« J’ai pas besoin de
tes conseils ! répliqua t-il pour sauver l'honneur. »
Le fait de s’accrocher à
sa monture permit à Woofang de ne pas tomber en arrière
mais l’animal ne fut pas calmé pour autant. Il piétina
légèrement la jeune femme qui ne cessait de hurler dans
ses pattes.
« Mais qui c'est
celle-la ! s’exclama Woofang, terrifié. »
Daran,
tenant son cheval, détendit son bâton, une arme
magnifique, et en pointa l’un des côtés, qui était
acéré, sous la gorge de la femme aux bras déjà
bien labourés par le cheval. Cette dernière adressa au
jeune homme un sourire complètement dément. Daran eut
l’air d’hésiter. Il finit par ranger son bâton et
tourna bride. La femme hurla à nouveau à leur
intention.
« VOUS
N’IREZ PAS LOIN BONS PRINCES, IL EST DE RETOUR !
-
Viens Woofang, fichons le camp. »
L’intéressé
hocha la tête et s’empressa de décamper. A peine deux
rues plus loin une ombre sortant de nulle part rendit à
nouveau les chevaux fous.
« Mais
c’est quoi ce bordel ! hurla Woofang. »
Daran
se fit éjecter par sa monture et se réceptionna sur les
pavés. L’ombre ressemblait étrangement à
Sharadeïm, une chimère que tous connaissaient car elle
était celle de l'assassin de l'empereur.
« Putain
Shad ! Tu exagères ! s'exclama l'aîné
Annavatar.»
Il
se releva, se tenant l’arrière de la tête; la chute
n’avait pas été agréable.
« C’est
pas elle ! comprit son rival. »
L’ombre se jeta alors sur le cheval de Woofang et lui enveloppa la
tête. Ce dernier paniqua et l'adolescent se fit jeter à
son tour. Un grand cri accompagna son vol plané.
L’atterrissage fut douloureux. Il eut un moment d'absence.
Lorsqu’il
releva la tête, il vit simplement Nathalie, en larmes, assise
parterre.
« Qu’est
ce que… Nathalie qu’est ce qu’il y… Nan… c’est pas toi… »
Daran
s’approcha sans ranger son bâton. Avec, il toucha la jeune
fille qui se décala avec crainte. Il fit alors apparaître
une lumière blanche dans sa main qui éclaira Nathalie
sans rien changer.
« Putain
de connerie de putain de connerie de bordel de merde ! jura
t-il.
-
Quoi ?
-
Woofang, tu connais cette fille ?
-
Oui…pourquoi ? »
Daran
rangea son bâton.
« Ne
restons pas là, dit-il.
-
Mais… »
Woofang
n’eut pas le temps de protester, Daran attrapa Nathalie par un
bras.
« Viens,
dépêche-toi ! ordonna t-il au garçon qui
restait derrière.
- La
touche pas ! »
Daran
l’ignora et continua d’entraîner la jeune fille avec lui.
« Je
t’ai dit de ne pas la toucher ! Nathalie, viens ici…dit
Woofang d’un ton protecteur.
-
Woofang, il faut gagner le palais au plus vite ! »
Daran,
beaucoup plus grand que Nathalie, ne la lâchait pas; celle-ci
eut beau se retourner dans tous les sens, ce fut en vain. Woofang
s’énerva :
« Elle
n’a pas besoin de toi pour avancer ! »
Sur
un coup de tête, il se jeta sur Daran, prêt à en
découdre;
« LACHE-LA !
hurla t-il, visiblement à bout de nerfs. »
Malheureusement
pour lui, son adversaire savait se battre et le jeta parterre sans
peine aucune. Daran commençait pour sa part à perdre
son sang froid. Woofang chuta mais se releva immédiatement.
Son opposant détendit son bâton alors que Nathalie
étouffait un cri. Le regard de son petit ami se posa sur elle
et aussitôt, le garçon se calma.
« Tu
veux te battre ? demanda Daran avec une colère froide. »
Woofang
ne lui répondit pas, se contentant de le fusiller du regard et
le laissa planté là, prenant Nathalie par la main pour
l’emmener. Daran les suivit en silence, trouvant plus raisonnable
de ne pas en rajouter. Leur mission passait avant leurs humeurs
personnelles. Ils finirent par entrer au palais, le garçon
bouillant de rage. Nathalie, qui n’avait jamais approché le
palais de si près auparavant, était intimidée.
« Maintenant
suivez-moi tous les deux, ordonna l’aîné des
Annavatar.
-
C’est bien parce que c’est maître Kendrakar qui a demandé.
-
Sinon je t’aurais déjà tué, assura Daran.
- Parle
pour toi, répliqua Woofang. »
Il
jeta un coup d’œil à sa petite amie, elle pouvait bien voir
qu’il ne pensait pas ce qu’il disait. Plus sérieux, Daran
reprit.
« Tu
vas emmener cette fille à la chapelle, elle a besoin de
soins. »
Woofang
ne se fit pas prier, même si l’ordre venait de Daran. Dès
leur arrivée, les invoqueurs présents les prirent
littéralement d’assaut et emmenèrent la jeune fille
au temple, séparant les deux jeunes gens.''
Ah
l'amour... N'ayez crainte, je n'interrompts le récit que pour
vous apporter quelques précisions, car il serait dommage que
vous ne compreniez pas tout, n'est-ce pas ? Les Invoqueurs étaient
des mages de haut niveau ayant été formés au
temple et au service du dieu de l’empire, Daermon. Curieusement,
ces hommes des plus dévoués n'ont jamais été
parmi les plus puissants de cette histoire – à l'exception
de Kendrakar - ironique n'est-ce pas ? Voilà pourquoi j'ai
toujours pensé qu'il était stupide de servir un Dieu
alors qu'on pouvait obtenir tellement en étant à son
propre compte. Mais reprenons, si vous le voulez bien.
''« Qu’est-ce
que… Nathalie !
-
Woofang ! »
Le
garçon tenta une poursuite mais il fut retenu par un
invoqueur.
« Du
calme ! ordonna celui-ci. On va s’occuper d’elle.
- Je
reviendrai te chercher Nathalie quand tu iras mieux ! promit
Woofang. »
Il
se tourna vers Daran avec un regard des plus hostiles.
« Ca
va aller, voulut le rassurer ce dernier.
-
Toi, la ferme.
-
Woofang, tu pourrais nous aider à la soigner. Si tu as de
l’énergie à dépenser, tu ferais un bon
chasseur de fantômes.
- Tu
la touches pas, même pour la soigner! Fantômes... c’est
toi que je devrais rendre fantôme.
- Je
ne vais pas la toucher, je vais casser la gueule à l’origine
de sa malédiction pour éviter de me défouler sur
toi.
-
Malédiction ? Elle n’est pas maudite !
-
Si.
-Tu
mens !
-
Crois ce que tu veux, moi je t’ai proposé…
-
Elle n’est pas maudite ! insista Woofang comme si ses
protestations pouvaient encore changer les choses. »
Il
hésitait sur la voie à suivre. Daran s’éloigna
sans mot dire. Le garçon l’interpella:
« Eh !
Où tu vas ! Tu devais me conduire à Altaïr !
-
J’ai des fantômes à tuer.
-
Maître Kendrakar a dit que tu m’emmènerais !
- Tu
connais le palais, débrouille-toi.
-
Enfoiré… »
Woofang
tourna le dos à Daran après avoir renoncé à
lui cracher à la figure, se contentant d’un geste peu
honorable. L’autre haussa les épaules et s’en alla. Le
garçon partit dans le sens opposé, se dirigeant vers la
salle du trône. Les deux lourdes portes étaient fermées;
il les poussa avec un peu de peine, et entra. La salle était
déserte, la cour elle-même y était absente. De
dépit, Woofang donna un coup violent dans la porte.
« Raaaah !
Mais c’est pas vrai ! »
Un
grand écho lui répondit mais ce fut tout.
« Je
me demande quelle nana il est encore en train de se taper pour pas
être là! Bon…trouver sa chambre…
-
C’est moi que tu cherches ? demanda alors l’empereur qui
venait d’arriver derrière lui. »
Le
garçon sursauta et se retourna, se demandant si l’empereur
l'avait entendu et répondit :
« Ouais
et c’est bien parce qu’on m’a demandé de le faire. »
Ce
n’était pas un ton pour parler à un empereur mais
Altaïr laissait faire. Woofang lui en voulait toujours de
l’avoir enlevé de Damrézor, bien qu'il préférât
de loin Kendrakar à Shadow. C’était par principe.
Altaïr ne lui avait pas demandé son avis et pour cela, il
lui en voulait. La notion de respect de l’autorité était
inconnue du garçon; en Damrézor, il y avait Shadow, et
Shadow, on la détestait. Il ne pensait pas qu’un jour il pût
y avoir quelqu’un d’autre d’aussi puissant qu’elle. Pour lui,
Shadow était au-dessus de tout, et l'on ne pouvait pas lui
échapper. Même si bien vite il allait se rendre compte
du contraire, il était réellement persuadé que
cette femme était de rang divin. Et puis… il avait une dette
envers elle.
Woofang
regarda l’empereur qui se tenait là, nonchalamment appuyé
au mur. Il demanda alors ce pour quoi on l'avait envoyé;
« J’ai
des questions à t… vous poser. C’est Maître
Kendrakar qui m’envoie.
-
Dis-lui que c’est Shael qui a tué ma sœur. »
L'adolescent
ne comprit pas la réponse d'Altaïr. Quel rapport avec la
guerre ?
« Votre
sœur ?
- Il
comprendra.
- La
lumière bleue…C’était votre sœur ?
Shalmsherra la Dame de Glace, c'était votre soeur?
-
Oui.
-
Mais… elle était gentille pourtant, regretta Woofang. »
Encore
une fois, il parlait sans savoir. Cela commençait à
devenir une habitude qui plus tard lui coûterait cher.
« Pas
vraiment non, elle voulait me tuer.
-
Justem… ce n’était pas Shael. Il est toujours vivant. La
lumière rouge que j’ai vu a explosé !
-
J’ai lancé un sortilège contre elle en dernier
recours qui a explosé sur son bouclier. Shael est intervenu
immédiatement après.
- Ca
n’avait pas l’air d’être un sortilège… Et la
deuxième boule rouge…pensa se souvenir le garçon.
- Il
n’y a jamais eu de deuxième boule rouge, affirma Altaïr.
Je suis le seul infernal de cette couleur dans ce monde.
-
Mais…
-
Non, Woofang, j’y étais. Tu as dû mal voir. »
A
mieux réfléchir, le garçon se souvint
qu’effectivement il n’y avait qu’une lumière rouge.
Cependant il était hors de question pour lui d’avouer s’être
trompé.
« Mais
je l’ai vue ! C’est vous qui avez dû mal voir !
- Je
suis sûr de ce qu’il s’est passé. Maintenant si
c’est tout ce que tu avais à demander, j’ai autre chose à
faire. Alors arrête de fabuler, mon jeune ami. »
Altaïr
se détourna et s’en alla, heureusement sans entendre la
dernière remarque de Woofang :
« C’est
vous qui vous foutez de ma gueule, enfoiré… »
Après
son court entretien - que Kendrakar finirait à sa place de
manière plus efficace - Woofang décida d’aller voir
Nathalie. Il se rendit donc au temple, un immense et magnifique
bâtiment. Il possédait un parvis grand de deux pâtés
de maison, surélevé de quelques marches et gravé
d’un pentacle symbolisant un dragon et un Invoqueur.
Le
front de l'édifice était orné d’une grande
statue à l’effigie de Daermon, le dragon à la forme
humaine tendant un poing vers le ciel toutes ailes déployées,
son autre main tenant un bâton qui formait un bas-relief
horizontal barrant le bâtiment d’un bout à l’autre
de la façade. Le temple était bien haut de trois cents
mètres.
Cela
n'impressionnait cependant pas l'adolescent qui y avait pendant un
court moment suivi une formation sous la tutelle de Kendrakar. Il
avait fini par s'habituer à la grandeur du bâtiment.
Par
chance, il n'y avait pas trop de monde ce jour-là et l'accès
aux portes ne fut pas grandement compliqué. Le garçon
passa d'abord sous une grande arche entre les jambes de la statue.
Elle donnait sur le hall, une immense salle parsemée de
piliers soutenant le très haut plafond. La pièce
flanquée de plusieurs portes était cerclée d’un
balcon, au-dessus duquel se trouvaient les vitraux qui éclairaient
le tout. Le sol marbré était gravé de pentacles
de même que les murs achevant là l’impression de
grandeur que l’endroit dégageait. Il y avait peu d’effigies,
et seulement quelques unes représentaient de grands
Invoqueurs. On n'en trouvait qu'une seule de Daermon, dans le fond.
Il y
avait beaucoup de circulation dans cette salle; on y discutait,
priait, riait et pleurait ou bien encore on ne faisait que passer. Ce
n'était pas ici que comptait s'arrêter Woofang. Le
quartier qui l'intéressait se trouvait plus loin. Il
poursuivit donc son chemin après avoir traversé le
grand hall.
L'intérieur
était un véritable dédale de couloirs, donnant
sur un grand nombre de salles et de cours dont l’agencement
laissait parfois perplexe quant on repensait à la taille du
bâtiment vu de l’extérieur. Malheureusement,
lorsqu'enfin Woofang arriva devant le bâtiment qui
l'intéressait, on lui répondit que voir son amie était
impossible.
« Mais
pourquoi ? demanda le garçon.
-
Elle doit rester isolée jusqu’à ce que la chimère
qui la possède soit tuée ou achève de se
décomposer, répondit l’invoqueur.
-
Une…une chimère ? Mais c’est impossible! Laissez-moi
la voir !
-
Non, ce serait dangereux, et pour vous, et pour elle. Une chance
d’ailleurs qu’elle ait été ramenée ici à
temps.
-
Mais je veux la voir !
-
C’est non. »
L’invoqueur
se détourna sans lui prêter davantage d'attention.
Woofang, qui ne devait son droit d’entrée qu’aux couleurs
de la maison Annavatar se retint de hurler. Il se rendit au début
de l'une des ailes du temple où seuls les invoqueurs ayant
fini leurs études pouvaient s’aventurer. L'accès
était des mieux surveillés. L’adolescent regarda les
gardes d'un air dépité; pour la première fois il
se mit à regretter de ne pas pouvoir utiliser les techniques
de caméléon qu'il avait apprises lors de son
apprentissage en Damrézor.
« Laissez-moi
passer.
- Je
suis navré c’est impossible. »
Woofang
soupira.
« Dans
combien de temps la chimère aura-t-elle disparu ?
-
Tout dépend de son endurance, le renseigna une invoqueuse qui
passait là. Les plus mauvaises et les plus puissantes sont
coriaces et peuvent mettre jusqu'à six mois. Depuis la fin de
la bataille ça ne fait au grand maximum plus que quatre mois
et demi à tenir, courage. »
L’invoqueuse
passa son chemin. Woofang la regarda partir, rageur. Il se sentait
impuissant et ne le supportait pas.
Soudain des bruits de sabots ferrés claquant sur le marbre se
firent entendre dans le hall. Le garçon se retourna, curieux
de savoir ce qui faisait ces bruits. Ils provenaient de Kendrakar,
assis sur un cheval, l’air nerveux, et qui n’avait pas pris la
peine de descendre de sa monture. Il ne se rendit pas compte de la
présence de Woofang et se mit à donner des ordres.
« Nina !
Yaduwë ! Avec vos hommes à la deuxième tour
Nord du second anneau ! Une noire est entrée en secteur
habité ! hurla t-il. »
En
s’approchant, le garçon remarqua que son maître était
monté sur une selle étrange mais en la détaillant
bien il s’aperçut qu’elle était tout simplement
faite pour lui tenir les jambes. Woofang jeta un coup d’œil aux
invoqueurs qui s'agitaient désormais et espérait que
les gardes également allaient décamper. Deux
invoqueuses écartèrent aussitôt la foule et
rassemblèrent leurs combattants. Les invoqueurs s’en
allaient à cheval ou à dos de chimère, mais les
gardes ne bougèrent malheureusement pas. L’adolescent
soupira.
C’est
à ce moment là que Kendrakar le remarqua.
« Woofang !
dit-il joyeusement. Que fais-tu là ?
-
Je…rien, mentit le garçon. Vous allez bien, maître
Kendrakar ?
- Je
t’ai déjà dit qu’il était inutile de mentir
à un politicien.
-
Avec de l’obstination…
-
Enfin, toujours est-il que je vais assez bien pour ne plus supporter
de rester enfermé. Daran a été assez aimable
pour dresser cette adorable bête à son passer de
jambes… »
Au
nom de Daran, Woofang tiqua. Le courant ne passait définitivement
pas entre eux. Après un nouveau soupir et un compte rendu
rapide de sa visiste à l'empereur, il avoua enfin le motif de
sa présence ici :
« En
fait… Je passais voir Nathalie mais… ils ne veulent pas me
laisser entrer…
-
Ho… Elle a été touchée par un fantôme.
-
Une chimère! Les fantômes ça n'existe pas!
-
Une chimère en liberté, oui, c’est ce que nous
appelons un fantôme. Les plus puissants peuvent contrôler
les humains et sont une vraie plaie. Les plus faibles ont la taille
d’un chien et pourrissent dans leur coin… C’est le prix à
payer pour utiliser leur magie. Ecoute Woofang, il y a une façon
rapide de sauver Nathalie…
-
C’est quoi ? répliqua aussitôt le garçon,
d’un ton impatient.
-
Arelfeld ! appela alors Kendrakar. »
Un
des gardes approcha.
« Amène
ce jeune homme à son amie, il te l’indiquera.
-
Mais…
-
Prends Chin’ra avec toi et dis-lui de chercher la marque de la
chimère.
-
Messire…
-
Exécution ! »
En
cet instant précis, brilla dans le regard de Woofang une
reconnaissance envers son maître qu’on ne lui avait jamais vu
auparavant. Le garde lui fit signe de le suivre.
« Va,
Woofang, je t’attends. »
Le
garçon hocha la tête et suivit le dénommé
Arelfeld. Celui-ci appela une invoqueuse et lui répéta
les paroles de Kendrakar.
« Bon, d’accord…
céda t-elle. Mais je vous préviens, ça peut bien
se passer tout comme ça peut s’avérer très
éprouvant… »
Ils entrèrent dans ce qui
ressemblait à un dortoir, une chambre contenant six lits bien
qu’occupée par une seule personne. Nathalie était
immobile sur l'une des couchettes, assise, les yeux fermés.
Elle ne semblait pas avoir remarqué leur arrivée.
« Il va falloir repérer
une marque sur sa peau, annonça Chin’ra. Cette marque nous
permettra d’identifier la chimère impliquée.
- Et de l’écrabouiller !
s’exclama le garde.
- Moui…fit l’invoqueuse, peu
enthousiaste à cette idée. »
Woofang frémit; cette
perspective ne le réjouissait guère.
« Et… est-ce que
Nathalie…va avoir mal ? s'inquiéta t-il.
- Moins que ce qu’elle endure
actuellement. Méfiez-vous tout de même, l’avertit
Chin’ra.
- Nathalie… »
Woofang s’avança
prudemment dans la pièce, et se précipita vers elle,
l’air inquiet, se méfiant tout de même un peu.
Nathalie ne réagit pas le moins du monde.
« Pourquoi elle bouge
pas ? s’alarma le garçon.
- Du calme. Trouvons rapidement
cette marque. »
Woofang opina du chef. Le garde
était quant à lui resté à la porte.
Lorsque la prêtresse toucha Nathalie, celle-ci ouvrit
brusquement les yeux. Ce fut son unique mouvement. Cela fit néanmoins
sursauter l'adolescent qui lui posa une main sur le front, comme si
elle avait de la fièvre.
« Restons calmes,
murmura Chin’ra. »
Woofang hocha encore une fois la
tête. Nathalie le regarda sans vraiment le voir, puis tourna la
tête vers l’invoqueuse avec une lenteur effrayante. En plus
de son anxiété, le garçon en avait froid dans le
dos. Elle lui évoquait un zombi. Chin’ra découvrit
alors l’épaule de la jeune fille où se trouvait la
marque; elle ouvrit des yeux ronds.
« Par Daermon… Ne
restons pas l… »
Avant qu’elle ne pût finir
sa phrase, Nathalie avait déjà attrapé Woofang
par le cou et serra si fort qu’elle le broya presque. Heureusement,
l’invoqueuse réagit promptement en collant la jeune fille au
mur avec une décharge magique. Chin’ra et le garde
ramassèrent ensuite le garçon, quittèrent
précipitamment la chambre et s’empressèrent de
refermer la porte.
« Tu m’étrangles…râla
Woofang. Laissez-moi rentrer !
- Non, elle te tuerait.
- Je m’en fiche ! »
Sans l’écouter, les deux
le ramenèrent vers Kendrakar qui attendait dans le hall. Il
avait visiblement réussi à calmer son cheval.
« Alors ?
s’enquit-il.
- Elle n’est pas répertoriée,
répondit Chin’ra.
- Quoi ?
- Deux V l’un au-dessus de
l’autre, ouverts vers le haut, poursuivit l’invoqueuse.
- Mais qui a invoqué ce
type de chimère ! Je pensais avoir donné des
ordres ! s'énerva l'Aldarian.
- Sûrement Simbor, il a
toujours été jaloux de Morgan…
- Même mort ce crétin
me pose encore des problèmes… C’est pas vrai! Woofang,
grimpe, on va se défouler tous les deux.
- Mon seigneur… Ce n’est pas
prudent…et si…
- Silence, interrompit Kendrakar.
Je suis seul à pouvoir réparer cette monstrueuse bourde
et je vous préviens, cet écart vous coûtera
cher ! »
Chin’ra n’insista pas,
consciente que ce débat était perdu d'avance. Elle
s’inclina et prit congé.
« Mais, et Nathalie ?
demanda Woofang.
- Nous allons la sauver. N’as-tu
pas compris qu’il faut tuer la chimère pour la libérer ? »
Woofang bien qu'il ne l'eût
pas réalisé, hocha la tête.
« La chimère est
quelque part en ville.
- Allons-y.
- Allez, grimpe. »
Le garçon finit par monter
sur le cheval. Un magnifique spécimen noir… qui allait très
mal avec le teint de Kendrakar. La couleur de sa monture était
quelque chose d’inhabituel chez lui.
« On va faire quoi
exactement ? demanda Woofang.
- Casser du monstre… »
Woofang déglutit. Il n’eut
cependant pas le temps de répondre que déjà
Kendrakar était sorti du hall au galop. Rapidement, le cheval
changea de forme pour adopter l’apparence de…Shin-ru. Le garçon
n’était pas rassuré du tout, le dragon en revanche
semblait s’amuser. Son maître reprit la parole :
« La chimère qui
possède ton amie est une « sœur » de
celle de Morgan.
- C'est-à-dire ?
- En gros… »
Kendrakar posa son dragon sur un
rempart.
La classe, pensa Woofang
en admirant la noblesse et la majesté des gestes de son
maître.
« Nous cherchons une
ombre, poursuivit ce dernier. Cependant, qu’elle ait tenté
de te tuer toi est plutôt bon signe. Chin’ra représentait
le seul vrai danger pour elle, mais si elle t’a attaqué en
premier, c’est qu’elle t’a considéré comme plus
dangereux… Et pourquoi à ton avis ? »
Le garçon haussa les
épaules. Il n’en savait rien.
« Parce que Nathalie a
réagi inconsciemment à ta puissance, et que visiblement
elle t’associe soit à sa délivrance, soit à
quelqu’un de puissant.
- Mais pourquoi ?
- Va savoir…répondit
Kendrakar sur un ton énigmatique. Peut-être qu’elle
est très amoureuse de toi. »
Woofang soupira, pas vraiment
convaincu.
« J’espère…
murmura t-il. Sinon c’est qu’elle m’a menti…
- Tu sais, répondit
l’Aldarian d’un ton amusé, les femmes…
- Nathalie n’est pas comme les
autres !
- Justement. C’est bien ça
le problème : il n’y en a pas deux pareilles. »
Encore une fois, le garçon
haussa les épaules;
« Tant mieux, dit-il.
Si tout le monde avait la même…
- Comme ce serait simple…rêva
Kendrakar.
- Ha non…
- Bon, on va aller interroger les
chasseurs. »
Kendrakar fit descendre Shin-ru,
qui reprit l’apparence d’un cheval.
« Ils sauront des
choses vous croyez ? demanda le garçon.
- S’ils l’ont croisée
ça pourrait nous aider. Sinon, cela revient à chercher
une aiguille dans une botte de foin. »
Ils atteignirent des quartiers
déserts et pas encore reconstruits. Cela donnait un décor
plutôt glauque. Woofang soupira.
« On sait à quoi
elle ressemble au moins la chimère qu’on cherche ?
- Elle peut prendre la forme
qu’elle veut. Ses seules contraintes sont qu’elle a deux yeux
rouges et qu’elle doit rester noire. »
Le garçon jeta un coup
d’œil à Shin-ru, pas franchement rassuré.
« Allons, courage, elle
aura forcément attaqué des chasseurs. »
Par chance, ils tombèrent
sur Morgan. C'était un homme étrange, à la peau
presque noire, aux cheveux coupés courts, d'un blanc de neige
malgré son jeune âge, aux oreilles pointues, le tout
illuminé par deux yeux d'un vert émeraude profond. Un
demi-drow. La lame de l'empereur, assassin de talent, lié à
une chimère aux grands pouvoirs.
Il était essoufflé
et soutenait une prêtresse qui avait l’air mal en point.
« Kendrakar !
Daermon soit loué ! On a un problème… dit
Morgan.
- Laisse-moi deviner, une deuxième
Sharadeïm ?
- Je n’en sais rien, mais si
c’est le cas elle s’est convertie en flagelleur mental.
- Et merde… Woofang, descends.
- Flagelleur mental… murmura le
garçon…
- Woofang, descends de cheval. »
L'adolescent reprit ses esprits et
obéit.
« Qu’est-ce que je
dois faire ? demanda t-il.
- Reste avec Morgan, ton aide ne
sera pas de trop. Protégez la prêtresse. »
Kendrakar fit repartir sa monture
au galop et disparut à l’intersection. Woofang n’avait pas
l’air très rassuré par Morgan, ne connaissant que
trop sa réputation et ayant une franche aversion pour les
races sortant de l'ordinaire. L'assassin déposa la jeune femme
à terre; sa jambe semblait avoir souffert.
Soudain, du coin de la rue,
arrivèrent plusieurs personnes, l’air tout à fait
normal…aux premiers abords. Woofang s’en méfia et il eut
raison. Morgan tira ses armes. Deux lames courbes, dont l’une était
dentelée.
« Et merde… marmonna
t-il.
- M’sieur…C’est quoi ?
interrogea timidement le garçon.
- Ils sont possédés.
Ça se voit à leur façon de marcher. Il faut
éviter de les tuer, mais ne les laisse pas approcher. »
Les inconnus s’avançaient
de plus en plus, marchant en plaçant leurs pieds l'un
exactement devant l’autre. Les deux jeunes gens furent rapidement
encerclés. Ils se mirent dos à dos. Woofang était
inquiet et se sentait impuissant sans son bâton pour se
défendre. Morgan lui donna alors un de ses cimeterres puis
commença à trancher à tout va lorsque les gens
arrivèrent à leur hauteur.
L'adolescent eut du mal à
manier l'arme que l'assassin lui avait confiée; il s'en
servait comme il se fût servi de son bâton, autant dire
que cela donnait un résultat peu efficace.
Le principal était de se
tenir à distance, tout en les empêchant de s’attaquer
à la prêtresse. Peu de gens étaient armés,
mais les filles leur sautaient dessus comme des harpies. Ne pas les
blesser n’était pas très évident et le garçon
avait du mal. Plusieurs coups de Morgan furent les bienvenus de son
côté. Au bout de dix minutes, celui-ci fit voler les
têtes avec une férocité toute bestiale.
« J’ai
horreur d’être acculé, justifia t-il. »
Woofang
était dégoûté, effrayé et tâchait
de voir le bon côté des choses, l'estomac retourné:
plus personne ne les agressait. La prêtresse avait quant à
elle perdu connaissance.
Soudain, un éclair noir fendit les airs et s’arrêta
net, adoptant une forme féminine, guérissant lentement
de ce qui semblaient être de spectaculaires griffures;
Sharadeïm. La chimère de l'assassin.
« Kendy
l’a noyée, annonça t-elle.
-
Qui ça ? demanda Woofang.
- La
chimère de ton amie pardi ! s'exclama la bête.
-
Alors Nathalie est sauvée ? »
Le
garçon partit instinctivement en direction du temple; Morgan
le laissa filer. Il eut cependant du mal à retrouver
l’édifice car il ne savait pas où il se
trouvait pour n'avoir pas fait attention au chemin qu'il avait pris;
la foule était dense, la ville était grande,
tumultueuse et très agitée.
« Et
bah enfin… »
Arrivé
au temple, Woofang se précipita vers la chambre de Nathalie.
Malheureusement, une prêtresse s’interposa.
« On
ne passe pas….Hey, mais…tu es le garçon qui est venu il y
a quelques heures avec messire Annavatar… »
Woofang
hocha la tête, l’air plus qu’inquiet.
« Nathalie…Je
peux la voir ?
- Tu
as bien vu que ça a failli mal finir la première fois,
refusa la jeune femme, les poings sur les hanches.
-
Mais… Maître Kendrakar a noyé la chimère…
-
Quoi ? fit la prêtresse qui ne semblait pas en croire ses
yeux.
- Il
a noyé la chimère.
- On
ne peut pas noyer une chimère jeune homme, du moins pas celle
qui contrôle ton amie…
-
Mais…Sharadeïm l’a dit…
-
Qui est Sharadeïm ? Je ne peux pas te laisser entrer à
moins que ce ne soit un ordre de messire Annavatar.
- Je
sais pas exactement qui c’est… Mais elle est toujours avec
Morgan. »
La
prêtresse pâlit.
« Morgan…Morgan
le semi drow ?
- Le
garde du corps d’Altaïr, confirma Woofang avec une grimace.
- Tu
penses que la chimère a été vaincue ?
-
J’ai un moyen de vérifier, répliqua le garçon
avec un regard entendu. »
La
femme soupira, refuser davantage était inutile; si
l'adolescent était là, Kendrakar ne devait pas être
très loin et l'ordre de le laisser passer arriverait d'un
instant à l'autre. Elle finit par céder;
« Si
jamais il t’arrive quelque chose je vais me faire excommunier…
Bon, viens. »
D’un
air reconnaissant, le garçon hocha la tête et suivit la
prêtresse qui ouvrit la porte de la chambre; Nathalie était
en train de pleurer à chaudes larmes dans son oreiller.
Woofang entra et avança doucement vers elle.
« Nathalie…ça
va ? »
Elle
ne répondit pas.
« C’est
fini…Je suis là maintenant, ma pauvre chérie… »
Shinilann,
la prêtresse, s’approcha et lorsqu’elle posa sa main sur
l’épaule de la jeune fille, cette dernière sursauta,
laissant échapper un cri de terreur qui effraya Woofang.
Celui-ci le reprocha à Shinilann :
« Nan
mais ça va pas ?!
- Du
calme…je veux juste vérifier… »
Nathalie
se dégagea pour aller se terrer dans un angle de la pièce.
Son ami soupira et s’approcha d’elle, doucement.
«Ma
chérie… murmura t-il. Elle ne te veut aucun mal…elle veut
juste s’assurer que la chimère est bien partie. »
La
jeune fille eut pour seule réaction de se retourner pour
pleurer contre le mur, finissant par se taper la tête dessus.
« Elle
va se faire mal…va la chercher, murmura alors Shinilann. Regarde
sur sa hanche gauche. Si la marque est blanchâtre, plus aucun
danger.
-
Nathalie calme-toi… Viens dans mes bras… »
La
jeune fille n’eut encore une fois aucune réaction.
« Nathalie…
- La
musique…elle…Elle n’arrête pas…murmura t-elle soudain.
-
Quelle musique ma chérie ? »
Woofang
la prit dans ses bras pour l’enlever du mur. Elle se laissa faire
mais semblait désespérée de ne pas arriver à
lui expliquer ce qu’elle ressentait.
« La
musique ! »
Le
garçon soupira.
« La
musique… fit-il. Oui, bien sûr, suis-je bête !! LA
musique ! s’exclama t-il soudain bien qu’il n’eût
aucune idée de ce dont il s’agissait. On va trouver quelque
chose ma chérie… on va t’aider…on va l’arrêter,
la musique… »
Woofang
lança à Shinilann un regard implorant; il ne savait pas
quoi faire. Nathalie hocha vigoureusement la tête, elle
acceptait l’aide de son ami. La prêtresse fit signe à
celui-ci de vérifier la marque.
« Nathalie
ma chérie…je peux juste regarder quelque chose ?
-
Quoi ? demanda celle-ci en le regardant bizarrement.
- Et
bien… te montrer que la chimère est bien partie, répondit
Woofang avec un sourire complice. Pour que tu aies moins peur.
-
Elle est partie. Ils sont presque tous morts, puis…puis l’eau…le
froid et…la musique ! Hooo j’ai vu leurs têtes,
n…noyées…dans…dans le sang ! »
Woofang
écarta les pans de vêtements qui recouvraient le haut de
la hanche de Nathalie. Tout en continuant la conversation :
« La
musique…elle est comment la musique ? On va te faire oublier
tout ça ma chérie tu verras… »
La
marque qu’il découvrit était blanche. Woofang leva le
pouce à l’intention de Shinilann pour lui dire que tout
était bon.
« Elle
est étrange. Si grande, si forte… pas comme la lyre des
musiciens en ville…c’est…je ne sais pas… comme des chants,
des centaines, des milliers d’instruments !
-
Est-ce qu’elle est jolie ? La musique ?
- Je
ne sais pas… oui…tellement qu’elle me fait peur… »
Shinilann
ouvrit la porte faisant signe à Woofang de sortir. Celui-ci
refusa d’un mouvement de tête et reporta à nouveau son
attention sur Nathalie.
« On
va trouver un moyen, promit-il. On la fera sortir de ta tête… »
La
jeune fille se serra contre lui, rassurée. La prêtresse
prit alors la parole.
« Viens,
Woofang, il vaut mieux la sortir d’ici, il y a des chambres libres
chez les novices à l’étage. »
Le
garçon hocha la tête.
« Viens
Nathalie, on va aller ailleurs, dans une autre chambre. Ca te
changera un peu les idées… »
Il
lui fut inutile d'en ajouter plus; la jeune fille suivait déjà,
ne voulant plus le lâcher. Elle se mit à parler d’un
ton rêveur, alors qu’ils venaient d’entrer dans le couloir:
« Tout
est si beau, si grand, comme la musique…
-
Ha ? Oui… C’est beau… Mais…c’est bizarre que tu
entendes une jolie musique après…Ce qu’elle t’a fait
subir…
-
Elle n’a rien fait, elle… j’étais ailleurs. Je ne l’ai
pas vu, jamais… »
Woofang
avait l’air inquiet, alors que la jeune fille continuait sa
description.
« Ailleurs,
il n’y avait rien, je…je n’étais pas…c’était
comme… j’étais là mais pas mon corps. Je
voyais…partout…pas la peine de bouger ou de parler… Je sentais,
c’est tout. Elle communique par sentiments, elle ne m’a parlé
qu’une fois avec de la colère et de la haine… Si fortes…ça
m’a fait mal… Puis plus rien, je savais que je n’étais
pas seule, mais je ne sentais qu’elle… Puis ce déluge si
froid…
-
Je…je crois comprendre ce que tu dis.
- Tu
m’as tellement manqué !
-
Moi aussi Nathalie, moi aussi… Je savais pas où tu
étais…J’étais tellement inquiet…puis quand je
t’ai trouvée ici…J’ai eu tellement peur pour toi!
-
Voilà, installez-vous ici, les interrompit alors Shinilann en
ouvrant une porte. Je dirai à messire Annavatar qu’elle est
hors de danger.
-
Merci beaucoup, répondit Woofang en hochant la tête avec
un sourire reconnaissant. »
Shinilann
lui rendit son sourire, contente pour lui puis les salua avant de
retourner à sa tâche. Woofang désigna un lit à
son amie.
« Allez
Nathalie, allonge-toi, tu veux quelque chose ?
-
Non, merci. »
A ce
moment là, des bruits de sabots résonnèrent dans
le hall.
« Tiens,
ça doit être maître Kendrakar…
-
Pourquoi tu l’appelles comme ça ? »
Woofang
s’assit à côté de Nathalie. Il avait un petit
sourire aux lèvres.
« Et
bien… il m’apprend à manier le bâton, et…là
où « j’habitais » avant…C’était
une formule d’usage. C’est une sorte de marque de respect. Et je
lui dois beaucoup.
-Tu
ne me parles pas beaucoup de ton entraînement, on dit en ville
que c’est un maître sévère.
-
Ho, il exige de la discipline mais il est gentil, et puis… »
Le
garçon hésita un instant avant de continuer.
« Je
le considère un petit peu comme mon père… même
s’ils n’ont rien à voir tous les deux… Mais ça,
ne va pas le répéter hein ! »
Woofang
sourit à Nathalie.
« Ma
puce…
-
Ton père ? interrogea la jeune fille, curieuse. »
Le
garçon hocha la tête.
« Tu
as de la chance d’être sous l’aile d’un grand seigneur,
reprit Nathalie. Tu penses qu’il fera de toi quelqu’un
d’important un jour ?
- Je
sais pas. Mais j’ai pas envie d’être important. Lécher
les bottes de ce crétin d’empereur toute ma vie, non merci…
-
Vous n’en parlez jamais ?
-
Non.
-
Arrête de maudire l’empereur comme ça oh…
-
Tout est de sa faute!
-
C’est un bon seigneur, puis…Sans lui je ne t’aurais jamais
rencontré…
- Tu
aurais peut-être rencontré quelqu’un d’autre.
-
Nan. »
Nathalie
se redressa pour embrasser Woofang qui se laissa faire. Ils ne
remarquèrent pas la silhouette qui s'était dessinée
dans l’encadrement de la porte, appuyée sur une canne.
« Ahem…si
je dérange, je repasserai plus tard. »
Woofang
se retourna après avoir sursauté.
« Maître
Kendrakar ! s’écria t-il alors d’un ton joyeux, un
grand sourire sur le visage. La chimère…elle est partie !
- Je
sais, je sais…
-
Merci beaucoup de l’avoir tuée, merci ! »
Woofang
sauta au cou de Kendrakar, lequel manqua de tomber, n’ayant
toujours qu’un équilibre précaire.
« Doucement…
-
Désolé... Nathalie, c’est lui qui a tué la
chimère !
-
Tiens, rends-toi plutôt utile, dit Kendrakar. J’ai
l’impression d’être un vieillard. »
L’Aldarian
s’appuya sur Woofang pour s’asseoir sur le lit, Nathalie s’étant
respectueusement écartée. Le garçon quant à
lui se posa à côté de son maître, invitant
la jeune fille à venir sur ses genoux. Elle secoua la tête
en signe de refus : cela ne se faisait pas devant quelqu’un
d’important. Woofang haussa les épaules et se tourna alors
vers Kendrakar, demandant d’un ton inquiet :
« Vous
allez vous en remettre ?
-
Mais oui… En fait… Dans la mesure où Morgan a occis toutes
les autres personnes ayant eu un contact avec la chimère, je
voudrais poser quelques questions à cette jeune fille.
Nathalie c’est ça ? »
La
jeune fille hocha la tête pour répondre à
Kendrakar.
« Hummm…je
te félicite, Woofang, tu as des très bons goûts,
reprit celui-ci en souriant, faisant rougir la jeune fille. »
Le
garçon passa un bras au tour des épaules de celle-ci
d’un air fier, remerciant son maître du compliment. Lequel
continua :
« Je
ne vous importunerai pas longtemps, vous devez avoir très
envie de fêter vos retrouvailles. »
Kendrakar
se mit alors à poser des questions à la jeune fille.
Elles portaient surtout sur ses sensations, lui demandant de les
décrire, de les expliquer. Woofang restait à côté
et écoutait en la plaignant pour ce qu'elle avait enduré.
Cependant, Nathalie ne parla pas de la musique. Son ami se demandait
l’utilité de certaines questions comme quelle était
sa couleur préférée, à quand remontait
son dernier souvenir…
« Bien,
ça ira, conclut l’Aldarian. Je pense que Nathalie devra
rester quelques jours au temple pour vérifier qu’elle n’ait
pas de séquelles ou de rechute. »
Woofang
l'observa; ce serait toujours mieux au temple que dans la rue, mais
tout de même; cela signifiait qu’il pourrait moins la voir et
puis, il n’aimait pas les temples. Il détestait les dieux.
Kendrakar se leva, en s’appuyant sur sa canne. Ce genre de
mouvement lui était apparemment encore douloureux.
« Vous
voulez de l’aide, maître Kendrakar ? demanda son
apprenti.
-
Oui, viens avec moi Woofang.
- Et
Nathalie ?
- Tu
auras tout le temps de voir Nathalie dans les jours à venir
et elle doit se reposer. »
La
jeune fille approuva les paroles de Kendrakar d’un signe de tête.
C’était mieux ainsi. L’Aldarian s’appuya sur sa canne
autant que sur son disciple, pour sortir de la chambre.
« Vous
ne devriez pas sortir ainsi, maître Kendrakar, désapprouva
l'adolescent.
- Je
t’en prie, tu ne vas pas t’y mettre aussi… »
Ils
traversèrent le temple pour atteindre un endroit que Woofang
n’avait encore jamais visité et dans lequel régnait
un calme irréel. Une légère musique flottait
dans les airs telle un parfum, « si faible que celui
qui l’entend pense qu’elle est le fruit de son imagination, mais
si douce qu’on ne peut s’empêcher de tendre l’oreille ».
Ils arrivèrent dans une étrange cour, assez petite,
bordée de colonnades de marbre, avec en son centre un arbre et
une ouverture sur le ciel bleu. Kendrakar s’assit sur l'un des
nombreux bancs qui se trouvaient là avec un soupir d'aise.
Woofang le regarda d’un air interrogatif. Son maître ferma
les yeux avec un sourire, puis demanda doucement :
« Sais-tu
où nous sommes ?
-
Non, répondit le garçon curieux.
-
Dans les catacombes, la partie du temple réservée aux
morts.
-
C’est joli pour des catacombes…
- En
effet, on associe trop souvent ce nom à des souterrains
remplis d’ossements. »
Woofang
hocha la tête; les catacombes de Damrézor, véritable
lieu d'abomination, lui laissaient un souvenir cuisant.
« Mais
cette cour en particulier abrite les corps de tous les défunts
daermoors, précisa l'Aldarian.
-
Darion…murmura Woofang.
-
Oui… Je n’ai pas pu assister à la cérémonie
et je le regrette. On m’a dit que Shinilann avait dansé
comme jamais… »
Kendrakar
sourit encore.
« Sais-tu,
Woofang, que dans l’antiquité les invoqueurs étaient
de simples danseurs, des shaman chargés d’indiquer la route
de l’au-delà aux âmes des défunts? La seule
magie qu’ils savaient faire. Après la guerre des dieux,
quand Daermon est apparu tout puissant, il les a désignés
comme ses représentants et de là est né le
clergé tel que nous le connaissons.
-
Daermon…soupira Woofang.
-
Jusqu’à ce que je prenne la tête du temple, les morts
étaient célébrés par des fêtes et
enterrés avec des prières. »
L’Aldarian
se mit à rire.
« Peu
de gens ont apprécié ce « retour en
arrière » consistant à envoyer à
Daermon les âmes des morts avec des danses!
- Il
n’y a rien de drôle…
-
Quand j’ai appris qu’ils se plaignaient d’être hantés,
je me suis dit que les fantômes étaient mes premiers
partisans politiques. Encourageant non ?
-
Possible… »
Kendrakar
pensa ensuite à autre chose, de plus sérieux, de plus
préoccupant; cela se vit sur son visage. Woofang aimait bien
ces instants passés seul avec son maître, à
l’écouter lui raconter toutes sortes d’histoires, légendes
ou faits réels. Et ici, en cet endroit, il se sentait à
l'aise.
« La
guerre civile a éclaté dans le Nord, soupira alors son
maître. Et si on n’intervient pas rapidement, les successeurs
potentiels du duc de Mélorie vont entraîner le duché
dans le chaos.
- Je
vois pas en quoi ça me concerne, râla le garçon
qui préférait l’histoire précédente.
J’ai toujours trouvé ça idiot, la politique. »
Le
garçon soupira.
« Ca
sert à éviter des guerres... dit Kendrakar.
-
Des guerres ?
-
Oui.
-
Chez moi, il y avait pas de guerres…chacun avait pareil…des fois
y avait des invasions ratées, mais jamais des guerres…
-
Ecoute, reprit Kendrakar, tu as suivi avec moi un entraînement
supérieur à celui du temple. Tu n’es pas invoqueur à
proprement parler mais tu en as toutes les aptitudes.
- Je
n’en ai pas la volonté.
- Et
ils sont mobilisés pour aller calmer les barons du Nord qui se
font la guerre entre eux pour devenir Duc. Tu en fais partie… Et
c’est Altaïr qui prendra la tête de cette armée.
- Je
ne me mettrai jamais au service d’Altaïr ! »
Kendrakar
sortit de sa poche ce qui se rapprochait le plus d’une cigarette,
en fait du tabac roulé.
« Pourtant
tu l’es, dit-il.
-
Jamais.
- Je
me doutais que tu dirais ça. »
D’un
sortilège, l’Aldarian alluma ce qu'il tenait en main.
Woofang le regarda d’un mauvais œil.
« Vous
ne devriez pas…dit-il.
- Je
sais, je sais, répondit Kendrakar, mais il n’y a que ça
qui me calme.
-
Après tout….
-
Autant que je me souvienne, j’ai commencé pour calmer mon
trac avant un combat dans une arène à dragons. Enfin,
bref… »
Woofang
haussa les épaules.
« Chacun
ses raisons, lâcha t-il.
-
Comme je me doute bien que tu ne veux pas suivre Altaïr, reprit
Kendrakar plus sérieux, et que je ne veux pas te voir traqué
comme déserteur ou pendu pour mutinerie, voilà ce que
je te propose : va rencontrer Shael pour moi et prends des
nouvelles de Seregorn. Je pense pouvoir inclure Nathalie à la
troupe si tu veux.
- Ca
me dérangerait pas, d’être traqué comme
déserteur… Au moins j’aurais un prétexte pour m’en
aller…
-
Nous traquons les déserteurs de la même façon que
nous avons mis la main sur la chimère tous les deux. Et ça
me ferait beaucoup de peine que tu finisses entre les molaires d’un
dragon, après tout le mal que je me suis donné à
faire de toi quelqu’un capable de tracer sa route. Si tu veux t’en
aller tu n’as qu’à le dire et je t’ouvre un portail, il
existe tellement de mondes…
-
Pour aller où… je peux plus rentrer chez moi…
- Je
serais curieux d’aller faire un tour là-bas un de ces jours.
- On
n’entre pas si facilement en Damrézor…Qui c’est qui
irait avec moi voir Seneron ?
-
Seregorn. Fais attention à ce pauvre gosse, il vit le martyr
de Nathalie tous les jours, il peut devenir dangereux... Je vais
t’affecter Shinilann, elle est très douée et il faut
que je l’éloigne de la ville. Alrik et Fox sont de bons
soldats à qui un peu de marche ne ferait pas de mal. Vous
serez assez de cinq. J’ai prévenu Shael de votre venue, vous
ne devriez rencontrer aucun danger, mais attention quand même,
cette forêt grouille d’anges et de daermoors noirs.
- Le
martyr de Nathalie ?
-
Oui, c’est ce qui le rend parfois dangereux; son esprit fonctionne
à l’inverse de celui des gens normaux et l'on n’a pas
encore pu voir l’étendue de ses capacités. Mais le
fait qu’il appelle les dracosires comme j’appelle mon chien est
plutôt effrayant, tu ne trouves pas? Shael sait y faire
paraît-il…en tout cas, depuis qu’il en a la garde, Seregorn
ne pose plus de problème. Ton rôle est simplement
d’aller voir s’il va bien. C’est une mission de routine mais ça
te sortira un peu de la salle d’entraînement et tu pourras
échapper à Altaïr. »
Woofang
hocha la tête mais il n’avait pas l’air très
rassuré. Kendrakar lui passa un bras autour des épaules :
« Ne
t’inquiètes pas, Shinilann est très douée.
Elle a déjà tiré Daran du pétrin à
plusieurs reprises et est la première de sa classe.
- Daran…grimaça Woofang.
- Je sais que vous ne pouvez pas
vous sentir, c’est juste un exemple. »
Le garçon hocha la tête.
Il n'avait aucune objection à proposer.
« J’irai, annonça
t-il.
- Bien, approuva son maître. »
Kendrakar écrasa sa
cigarette entre ses mains et la fit disparaître en la frottant.
Puis il informa son disciple :
« Vous partez demain,
tu ferais mieux d’aller chercher Nathalie.
- Bien. »
Le garçon se leva, prit
congé de son maître et se mit en quête de la jeune
fille, avant d'aller préparer ses affaires.
Quant à moi, il est temps
maintenant de me mêler à leur histoire. Mon plan me
prendra du temps et sera risqué. J'ai pris mes précautions
et il ne me reste plus qu'à espérer que cela suffise.
Je connais sa faiblesse, à elle, mais je ne sais à quoi
m'attendre avec les autres. C'est peut-être mieux ainsi, sans
surprise, ruiner leur vie n'aurait rien d'amusant, pas vrai?